Alors qu’Alpine devenait de plus en plus un constructeur de GT de plus en plus éloignées du concept initié par l’A110, les lecteurs du magazine Échappement plébiscitent l’idée d’une nouvelle berlinette, axée sur l’efficacité plutôt que sur le confort et prête à donner du plaisir pour un prix raisonnable. Ce qui ne l’était pas (raisonnable), c’était de les prendre au mot et de lancer la voiture de leurs rêves. Michel Hommell, patron du groupe de presse éponyme et passionné comme ses lecteurs, n’hésite pourtant pas à lancer sa marque par plaisir plus que par calcul financier, donnant naissance à la Berlinette, à la Barquette, puis à la RS et la RS2. Une aventure incroyable qui durera jusqu’en 2003, jusqu’à ce que la raison revienne enfin.
Production (1992-2003) : 242 exemplaires
Dont : 2 prototypes (1992-1993), 67 Berlinettes (1994-1997), 52 Barquettes (1994-1999, dont 16 Vaillante Grand Défi), 1 Cabster (1994), 63 RS (1997-2002), 56 RS2 (2000-2003 dont 10 RS2 10ème anniversaire) et 1 prototype Barquette Echappement (2003).
Lieux : Saint-Cloud (92, prototypes) puis Lohéac (35, production)
Imaginée au restaurant
Comme bien des aventures totalement idiotes mais ô combien passionnantes, celle-ci démarre au début de l’année 1991, à la table d’un restaurant, entre amis et notamment Michel Hommell, patron d’un groupe de presse magazine (Société Française d’édition et de Presse, la SFEP, qui édite des journaux télé, mais aussi Echappement ou Auto Hebdo) et Gilles Dupré, rédacteur en chef du magazine automobile Echappement. La discussion tourne évidemment autour de l’automobile, et chacun regrette l’embourgeoisement de la marque Alpine, qui vient de lancer la grande A610 pour remplacer les V6 GT et Turbo. Qu’elle est loin la berlinette A110, vive, légère et dénuée de tout confort dont le dernier exemplaire a été fabriqué en 1976. Le constat est vite fait : il n’existe aucun constructeur en France qui fasse perdurer une telle philosophie. Alpine ou Venturi tentent de rivaliser avec Porsche ou Ferrari, tandis que les grands constructeurs n’y pensent même pas (Renault fera cependant un coup avec le Spider quelques années plus tard), se contentant de petites sportives comme la 205 GTI, la 106 XSi, et la 309 GTi-16 chez Peugeot, ou la Clio 16v chez Renault. Bref, à la fin du dîner, Hommell et Dupré ont une idée : demander aux lecteurs d’Échappement ce qu’ils en pensent.
Les lecteurs d’Échappement mis à contribution
Un sondage est donc organisé par le biais du magazine, afin de définir le portrait-robot de la sportive idéale des années 90. Pour ces lecteurs avant tout attirés par le sport automobile, il se dégage rapidement une tendance : un coupé, léger (moins de 900 kg), agile (moteur arrière), sans chichi (4 cylindres 2 litres) et abordable (moins de 200 000 francs). Le cahier des charges d’une nouvelle berlinette en somme. Mais à cette heure, il ne s’agit que d’un sondage, croit-on. Pourtant, dans le numéro d’Échappement d’août 1991, la nouvelle tombe : la voiture deviendra réalité, non pas sous la forme d’un prototype, mais bien d’un modèle commercialisé. Incroyable ! Il fallait la folie de Hommell et Dupré couplée à leur sérieux reconnu pour qu’un tel projet voit le jour.
Du concept au prototype
Si Gilles Dupré est alors journaliste, c’est aussi un ingénieur. Il se chargera donc de la technique, nommé ingénieur en chef, avec l’aide de son frère Jean-Sylvain. Éric de Pauw, un ancien du style Citroën, se voit quant à lui confier le design de la voiture. La réputation de Michel Hommell et de son groupe de presse permet d’emmener des partenaires dans l’aventure : PSA pour la fourniture d’éléments mécaniques, SMAN pour la boîte de vitesses, Michelin évidemment, ou l’équipementier Magnetti-Marelli. Pour réaliser le premier prototype, les locaux du groupe Hommell à Saint-Cloud sont mis à contribution, exemple unique d’une cohabitation entre médias et construction automobile. Une première maquette au 1/5ème est réalisée à l’automne 1991, avant de s’attaquer au premier prototype en fin d’année. Il ne sera achevé qu’en 1992.
Succès à Paris
Ce 1er prototype (qui existe encore et se trouve au Manoir de l’Automobile à Lohéac) est un exemplaire unique puisqu’il dispose d’une mécanique spécifique : celle de la Peugeot 309 GTi-16, le XU9J4 16 soupapes de 1 905 cc et 160 chevaux, accouplé à une boîte SMAN à 6 vitesses. Son style est simple mais réussi et utilise à merveille des éléments de grande série comme ses phares avant de Citroën XM, ses feux arrière de ZX ou ses jantes de Peugeot 605 SV24. Grâce à son châssis tubulaire renforcé par des tôles en aluminium rivetées et à sa carrosserie en polyester, la voiture ne pèse que 980 kg en ordre de marche. C’est plus que les 900 kg désirés par les lecteurs, mais la Berlinette (c’est son nom) n’en reste pas moins très légère par rapport à la concurrence. Elle est présentée au Salon de Paris, rencontrant non seulement un succès d’estime mais aussi des clients potentiels. Avec des bons de commandes fermes, la décision est enfin prise : la Berlinette sera construite en série.
Du prototype à la production
L’année 1993 va donc être consacrée à l’industrialisation et à l’homologation. Un deuxième prototype est construit à cet effet, et finit en morceaux dans un ultime crash test. La définition technique de la voiture est revue, essentiellement au niveau de la mécanique. La Berlinette sera finalement produite avec le 4 cylindres de la 306 S16 qui vient de sortir chez Peugeot. Ce 1 998 cc doté du fameux système ACAV développe officiellement 155 chevaux. En réalité, il en sort un peu moins (environ 150) mais peu importe : la voiture est vive, performante (222 km/h) et sa légèreté et son architecture permettent d’obtenir les sensations espérées lors du sondage de 1991. Grâce aux accords avec PSA (outre la mécanique, les freins avant viennent de la 605 V6, ceux à l’arrière de la BX GTI, la direction et les rétroviseurs de la 405 Mi16 ou le pare-brise de XM, en plus des feux déjà cités), le prix reste contenu même s’il atteint finalement 250 000 francs.
Une usine bretonne pour la série
Pour produire la Berlinette, Michel Hommell, qui donne son nom à la marque, rachète une ancienne usine Bridel dans son cher village de Lohéac où se trouve déjà son Manoir de l’Automobile, abritant une incroyable collection de véhicules. Les châssis sont fabriqués au département prototypes de l’usine Citroën de Rennes-La Janais. Pour le logo, il choisit trois épis de blé symbolisant la fécondité, la réussite et le bonheur dans la campagne bretonne. La production commence enfin en avril 1994 et dix exemplaires sont fabriqués cette année-là. Au salon de Paris, en octobre, la petite firme présente le Cabster, une version cabriolet qui restera à l’état de prototype. Le projet évoluera en 1995 en une Barquette destinée aux circuits, plus radicale mais plus équilibrée (940 kg seulement). La clientèle sportive que vise Hommell n’a que faire d’un cabriolet. Cette année-là, la production prend son essor avec 34 Berlinettes fabriquées, ainsi que 2 Barquettes : cela reste confidentiel, mais le projet a le mérite d’exister et la marque prouve ses capacités à transformer l’essai. En 1996, le volume produit reste stable mais voit la Barquette prendre le dessus sur la Berlinette (22 unités contre 16).
Nouveau moteur et nouveau design
L’année 1997 voit arriver de nombreux changements : la fin de la production du 2 litres ACAV oblige à changer de mécanique. Tout naturellement, Hommell reste fidèle à Peugeot et récupère le nouveau bloc de la 306 S16. Si la cylindrée reste inchangée, il est beaucoup plus brillant que le précédent, et développe cette fois-ci 167 chevaux sans déperdition. A cette occasion, la Berlinette reçoit un restylage et devient RS : nouveau capot, double phares à l’avant, feux arrière circulaires (4), nouveau tableau de bord. Elle abandonne la boîte SMAN pour la boîte 6 vitesses de la 306 S16, et son train arrière est modifié pour un meilleur équilibre des masses. Le travail sur le poids est lui aussi conséquent avec 30 kg de moins sur la balance. Mieux, elle coûte désormais 228 000 francs. Sa production commence lentement et quelques Berlinettes sont encore assemblées. Étrangement, la Barquette reste avec le précédent moteur (150 chevaux), sans doute pour écouler les stocks encore disponibles. Elle coûte cependant moins cher que la RS (199 000 francs). Elle restera en production jusqu’en 1999 avec ce même moteur, les 16 dernières étant rachetés par Christophe Collaro pour réaliser la Vaillante Grand Défi (voir encadré).
Vaillante Grand Défi
Donner vie à une Vaillante est le rêve de beaucoup. C’est ce que vont réaliser Christophe Collaro, Philippe Charles Toussaint, Joël Amont et Philippe Graton, avec l’accord de son père Jean, créateur de Michel Vaillant. Il s’agit de proposer à des personnalités de conduire une Grand Défi lors du 3Com Stars Challenge. Les stars en question sont Luc Alphand, Arthur, Manuel Amoros, Régis Laspalès, Henri Leconte, Philippe Lavil, Albert de Monaco, Marie Fugain ou Caroline Barclay (entre autres). Le quatuor jette son dévolu sur les 16 dernières Barquettes Hommell équipées du 2 litres de 167 chevaux. La carrosserie est retirée pour être remplacée par une évocation de la Vaillante Le Mans de 1964 appelée désormais Grand Défi, clin d’œil au nom du premier album de Michel Vaillant. La Vaillante, coursifiée à l’extrême par rapport à la Barquette, ne pèse plus que 800 kg. Le challenge durera deux saisons (2000 et 2001) avant d’être stoppé : seules 15 voitures auront survécu, et toujours existantes aujourd’hui. Il se dit qu’à l’époque, Michel Hommell avait vu d’un assez mauvais œil cette opération menée discrètement sans autorisation. Mais peu importe : la Vaillante existe et c’est bien l’essentiel.
Après la passion, retour à la raison
La RS prend petit à petit ses marques à Lohéac, mais la production reste faible : entre 10 et 20 exemplaires par an jusqu’en 2001. C’est pourtant la meilleure Hommell (bien que son dessin soit moins pur), la plus équilibrée et sans doute la plus fiable mais malgré un prix compétitif, les passionnés restent une cible limitée ne permettant pas de sortir de la confidentialité. En 2000, Hommell se remet à l’ouvrage pour tenter d’améliorer la RS. La marque fait appel à Danielson pour booster la voiture grâce à un kit la faisant passer à 195 chevaux. Son freinage est renforcé tandis que la carrosserie est légèrement retravaillée. Elle prend le nom de RS2. En 2002, une série spéciale limitée à 10 exemplaires célébrant les 10 ans du projet Berlinette (couleur bleue unique, autocollants, plaque numérotée) est lancée, clôturant l’aventure Hommell. En effet, Michel Hommell décide d’arrêter l’aventure en 2003 malgré la création d’un prototype de Barquette à moteur de 206 RC 177 chevaux. La situation ne permet pas d’envisager une production supérieure et l’homme est raisonnable : s’il a pu jusque-là assumer les pertes du petit constructeur, il sait qu’il ne pourra pas aller plus loin sans mettre en péril son groupe de presse. La marque est donc mise en sommeil pour finalement être dissoute cinq ans plus tard.
Une voiture performante mais exigeante
Au total, ce sont 242 exemplaires de Berlinette, RS, RS2 ou Barquette (dont 4 prototypes) qui ont été produits entre 1992 et 2003. Un chiffre ridicule et énorme à la fois, tant le projet de départ pouvait paraître fou. Véritable voiture de course pour la route, elle impressionne par son châssis fantastique, sa tenue de route incroyable et sa précision, mais nécessite un certain bagage de pilote : il s’agit d’une voiture exigeante, à ne pas mettre entre toutes les mains et c’est sans doute ce qui explique sa faible diffusion malgré un tarif resté abordable tout au long de sa carrière. En outre, son efficacité lorsqu’elle est cravachée se paie par une polyvalence inexistante. Malgré cela, Hommell et son équipe auront prouvé qu’on pouvait faire une voiture enthousiasmante avec peu de moyens : chapeau.
Photo : Échappement, Hommell, Dominique P, Drouot, Artcurial, Gazoline