L’Ami 8, étroitement dérivé de l’Ami 6 tout en présentant un physique plus consensuel, échappe souvent à notre imaginaire au privilège d’autres modèles Citroën. Pourtant, cette grosse 2CV qui ira même s’équiper du 4 à plat de la GS pour devenir Ami Super rencontrera son public avec plus de 800 000 exemplaires produits, et ce malgré la présence d’une concurrence désormais féroce sur ce créneau des voitures intermédiaires. Oui mais voilà, que ce soit en berline, break ou service, l’Ami 8 passe inaperçu, hier comme aujourd’hui : c’est le lot des voitures qui font le job, sans esbroufe ni artifices malgré d’indéniables qualités et un fort parfum de nostalgie.
Production (1969-1979) : 800 775 exemplaires
Dont : 342 743 berlines 602, 386 582 breaks 602, 26 630 Service 602, 24 797 berlines Super, 19 222 breaks Super et 801 Services Super (soit 44 820 Super).
Lieux : Rennes (35), Forest (Belgique), Vigo (Espagne, Citroën 8), Koper (Slovénie, Cimos)
Relancer l’Ami
Depuis 1962, Citroën comblait l’espace entre sa vaillante 2CV et son duo haut de gamme ID et DS par une Ami 6 dérivée de la première faisant office de milieu de gamme. Cette situation pouvait suffire au début des années 60, mais l’arrivée d’une concurrence moderne et autrement plus attrayante comme la Peugeot 204 en 1965, la Simca 1100 en 1967 et même la fade Renault 6 en 1968, obligea Citroën à revoir un peu sa copie. L’entreprise de Javel avait sur le feu son projet G prévu pour 1970, ambitieuse et moderne (la future GS) mais aussi une évolution de l’Ami 6 permettant de rester au contact sans investir des mille et des cent : l’Ami 8. Il s’agissait en fait de gommer le principal défaut de sa berline moyenne en lui octroyant un design moins clivant. En effet, si la vitre arrière inversée signée Flaminio Bertoni nous enthousiasme aujourd’hui, elle pouvait en rebuter certains dans les années 60. Pour preuve, le lancement du break Ami 6 en 1964 changea la structure des ventes de manière radicale, ce dernier se vendant alors presque quatre fois plus que la berline. Une situation inédite.
Un design plus consensuel
Pour y remédier, Citroën (et particulièrement Robert Opron) va donc se mettre à l’ouvrage pour transformer la vieille Ami 6 devenue ringarde en une pimpante Ami 8, à la manière de la Dyane vis à vis de la 2CV. Mais à une différence près : l’Ami 8 remplace l’Ami 6, contrairement aux deux petites de la gamme qui cohabitent sur un même créneau. Le principal travail sera à l’arrière et plutôt radical : la vitre inversée caractéristique est supprimée pour être remplacée par un profil fastback qui transforme la voiture en une deux volumes. Cela lui va plutôt bien mais les ingénieurs et designers oublieront l’essentiel : un hayon amenant une praticité bienvenue. Un oubli ? Plutôt une façon de ne pas cannibaliser le break lui aussi au catalogue mais dont l’arrière vertical reste identique à celui de l’Ami 6 et doté du fameux hayon. L’avant est lui aussi modifié pour gommer un côté baroque qui n’est plus à la mode. Le capot ne déborde plus sur la calandre, elle-même simplifiée (tout comme le pare-choc avant). C’est simple, efficace, et il suffit de placer une 6 à côté d’une 8 pour comprendre toute la subtilité du travail effectué par le service du Style de Citroën. C’est en tout cas moins radical qu’à l’arrière, préservant une certaine homogénéité avec la précédente.
Un lifting plus qu’une nouveauté
Présentée en mars 1969 au Salon de Genève, l’Ami 8 n’en est sûrement pas la vedette mais elle montre la volonté de Citroën d’évoluer un peu, comme l’a fait la Dyane deux ans plus tôt. Les vraies nouveautés viendront l’année suivante, avec la fabuleuse SM et la GS. Elle ne dispose pour l’instant que d’un seul moteur, le sempiternel bicylindre de 602 cc qui développe 32 chevaux SAE. Pas de quoi s’extasier mais c’est suffisant pour atteindre les 123 km/h et répondre du tac au tac à la Renault 6 lancée l’année précédente et de puissance équivalente. Elle est disponible en version d’entrée de gamme Confort ou plus cossue Club aux sièges avant séparés. Il faut cependant attendre septembre pour voir apparaître la version Break (et son dérivé Service, voir encadré), laissant un peu de répit à l’Ami 6 dans cette carrosserie. Grâce à cela, les ventes cumulées des deux modèles permettent un rebond non négligeable (plus de 162 000 exemplaires).
Citroën Ami 8 Service
La version utilitaire à 3 portes sur la base du break Ami 6 n’était apparue qu’en 1968. C’est tout naturellement que cette carrosserie est reprise dans la gamme Ami 8 avec les changements stylistiques de la face avant. Présentée en septembre 1969 en même temps que le break, la Service est disponible soit en version tôlée, soit en version vitrée (une solution qui sera reprise sur la GS). Comme l’Ami 8 dont elle dérive étroitement, elle sera proposée à partir de janvier 1973 avec le 4 cylindres à plat 1 015 cc des premières GS mais avec 801 exemplaires, cette déclinaison est une vraie rareté. Au total, 27 431 breaks Service seront vendus entre 1969 et 1979).
Une concurrence plus rude que prévu
Si la production de l’Ami 8 augmente en 1970 (124 422 exemplaires), l’Ami 6 n’est plus là pour compenser. Si la progression n’est pas aussi forte que prévu, c’est que l’Ami 8 subit l’arrivée de la 304 en complément de la 204 chez Peugeot, un nouveau moteur plus puissant pour la Renault 6, l’affirmation sur le marché de l’étonnante Simca 1100 mais aussi (et surtout ?) la concurrence en interne de la nouvelle GS, certes plus spacieuse et plus haut de gamme, mais qui chasse tout de même sur les mêmes terres. Si la gamme Citroën est mieux structurée, elle laisse moins de place à l’Ami 8 qui rame pour séduire et ce n’est pas son étrange dérivé à moteur Wankel nommé M35, prototype roulant sans ambition commerciale, qui va l’y aider. Ce qui devait arriver arriva : les ventes plongent en 1971 à 104 478 exemplaires.
Un moteur de GS pour relancer la machine
Si la situation n’est pas dramatique, elle pose question chez Citroën : un tel modèle, sur une base datant de 1962 (et même de 1948 si l’on considère qu’elle dérive de la 2CV) peut-elle espérer redresser la barre sans modification ? La réponse est non. Aussi va-t-on chercher une solution pour relancer l’Ami 8. Sa concurrente la plus directe, la Renault 6, offre un 4 cylindres 1 108 cc de 48 chevaux SAE : ne faudrait-il pas proposer une motorisation capable de rivaliser ? C’est en tout ca ce qu’estiment les pontes à Javel. Cela tombe bien, le 4 cylindres à plat de la GS, jugé insuffisant pour une telle voiture, est en train d’évoluer en une version 1 222 cc plus performante, laissant le 1 015 cc disponible pour l’Ami. Après une année 1972 catastrophique (96 716 exemplaires), Citroën relance son modèle en présentant en janvier 1973 l’Ami Super, dotée du fameux Boxer dont la puissance baisse cependant à 53,5 chevaux DIN. Elle se distingue par une finition plus cossue (et un joli logo sur fond doré) mais devient alors une 6 CV.
Une situation précaire
Avec ce nouveau modèle, disponible lui aussi en break et en Service, les ventes repartent à la hausse avec 107 339 unités vendues en 1973, mais il s’agit d’un feu de paille. La crise pétrolière rend l’Ami Super moins intéressante avec une puissance fiscale de 6 CV et une consommation de 9,3 litres au 100 contre 6,4 à l’Ami 8, sans même parler du surcoût à l’achat. Citroën n’a en outre plus les moyens de soutenir en communication son modèle, la quasi-faillite approchant. En 1974, Michelin, après avoir tenté un rapprochement avec Fiat refusé par le gouvernement français, cède sa filiale automobile à Peugeot. Ce rachat n’entraîne pour l’heure aucune modification dans la gamme Ami toujours composée de la 8 et de la Super, mais les ventes plongent : 74 556 en 1974, 63 695 en 1975. Pire : l’Ami Super qui devait relancer la gamme devient anecdotique, peinant à trouver le moindre client. Pragmatique, le nouveau propriétaire décide de supprimer le modèle en 1976, d’autant qu’il vient de lancer la petite Citroën LN qui profite de sa plate-forme de 104 pour ne rien coûter à la marque en développement. Dans la foulée, le projet VD est lancé sur les cendres du projet Y pour remplacer l’Ami 8 dont les jours sont désormais comptés.
Remplacée par la Visa
Le couperet tombe en 1978, lorsque la Visa est présentée au public. Cette année-là, seuls 18 157 exemplaires (essentiellement des breaks) sont sortis des chaînes, autant dire peanuts. Quelques modèles (break mais aussi Service) seront produits en 1979 mais c’en est bel et bien terminé de l’Ami 8 qui, malgré le contexte défavorable, ne s’en sera pas trop mal tirée sans arriver cependant à atteindre le score de l’Ami 6. Elle aura su séduire une clientèle fidèle, attachée à la 2CV mais désireuse de monter en gamme et qui n’aurait sans doute jamais franchi la porte d’une concession Peugeot ou même Renault.
Un commentaire
L’Ami 8 ne fut jamais montée en Belgique à Forest, contrairement à l’Ami 6.
Par contre, elle fut assemblée par Citroën Argentina dans son usine de Buenos Aires, dans une unique version break avec 48.855 ex. produits.