Au début des années 70, une petite entreprise du centre de la France se met en tête de produire une GT capable de rivaliser avec les meilleures teutonnes ou transalpines. Légère et puissante, la Ligier JS2 aurait pu être le point de départ d’une lignée de sportives françaises. Malheureusement, prise dans la tourmente de la crise pétrolière, du fiasco de Citroën, fournisseur de l’ensemble boîte-moteur via Maserati et surtout de la désaffection du public, la petite entreprise bourbonnaise devra revoir ses ambitions à la baisse et cesser de produire sa belle GT.
Production (1972-1975) : 86 exemplaires
Dont : 48 JS2 2.7, 31 JS2 3.0 et 7 JS2 Phase 2
Lieu : Abrest (03)
Guy Ligier, entrepreneur et fonceur
Passer du statut d’orphelin, rapidement orienté vers la boucherie, à celui de patron d’un constructeur automobile puis d’une écurie de Formule 1 démontre une volonté de fer et un caractère fort. C’est le cas de Guy Ligier qui, loin de se laisser enfermer dans une modeste condition, a toujours mis toutes les chances de son côté pour accomplir ses rêves. Ce caractère fort et fonceur, il le doit sans doute au sport, devenant champion de France d’aviron à 17 ans et pratiquant le rugby (au poste de talonneur) à un niveau international. Pourtant, son début de carrière se fait loin des terrains de sport, mais le rapproche indirectement du bitume des circuits. Pressentant la forte demande, dans les années 50, pour la réalisation de routes et d’autoroutes, Guy Ligier va investir ses économies dans un bulldozer et se lancer dans les travaux publics. L’essor de son entreprise jusque dans les années 60 lui permettra de financer ses plaisirs : la course de moto d’abord (champion de France 500 cc en 1959) puis la course automobile.
L’amitié envolée
En 1964, il a déjà 34 ans mais l’envie de piloter. Il débute donc en Formule 2 et fait la connaissance d’un autre pilote, Jo Schlesser, qui devient rapidement son ami. Ce dernier l’embarque avec lui dans l’aventure Ford France en endurance, sur GT40. En 1967, les deux potes devenus coéquipiers remportent même les 12 heures de Reims. Dans le même temps, Guy Ligier fait ses premiers pas en Formule 1 pour l’écurie Brabhams et réussit même à marquer un point de façon chanceuse. L’homme est pourtant lucide : il n’a pas l’étoffe d’un champion comme son ami Jo. Entrepreneur dans l’âme, il rêve de construire un jour sa propre voiture de course avec celui qui est devenu comme son frère. Hélas, Jo Schlesser se tue au volant de sa F1 Honda le 7 juillet 1968, lors du Grand Prix de France sur le circuit de Rouen-Les-Essarts. Effondré, Ligier n’a plus qu’une idée en tête : accomplir son rêve en hommage à Jo.
Une GT en hommage à Jo Schlesser
Pour réaliser son projet, Guy Ligier va demander conseil à Jean Bernardet, ingénieur de formation et responsable de la rubrique Auto du quotidien sportif L’Équipe. C’est avec ce dernier qu’il va réfléchir aux bases du projet et constituer une équipe. Ainsi, il recrute Michel Têtu, un ancien de la firme CD et d’Alfa Romeo comme responsable technique, tandis qu’il fait appel à Pietro Frua pour le design. En Janvier 1969 : L’équipe destinée pour réaliser la JS1 est constituée sur les conseils de Jean Bernardet, ingénieur et journaliste, responsable de la rubrique Auto au journal l’Equipe. Guy Ligier recrute Michel Têtu, un ancien de chez CD, comme responsable technique. Design : Pietro Frua. Il s’agit de produire une GT capable de rivaliser avec Porsche en rallye ou en endurance. Les maîtres mots sont puissance, légèreté et visibilité. Tandis que Frua esquisse les traits de la JS1 (en hommage à Jo Schlesser), Ligier fait jouer ses relations avec Ford pour obtenir un moteur : un quatre cylindres de Formule 2 développant 220 chevaux pour 1 594 cc. Châssis poutre en Klegecell (une technique aéronautique mêlant mousse de polyuréthane et aluminium) de seulement 51 kg, carrosserie en fibre de verre et moteur compact permettent à la JS1 d’afficher seulement 625 kg et d’atteindre les 260 km/h.
La JS1 fait ses début
En octobre 1969, le premier prototype est prêt, et Ligier l’expose avec fierté au Salon de Paris. Il s’agit avant tout d’une voiture de course, mais le patron envisage aussi une version civile plus accessible disposant d’un moteur de Ford Capri de série afin d’en faire baisser le coût à 55 000 francs. À l’étroit dans le petit garage de la rue de Reims à Vichy, des ateliers sont mis en chantier à Abrest, entre Saint Yorre et Vichy. L’aventure prend forme d’autant plus rapidement que dès le 23 novembre 1969, la voiture est engagée au Critérium des Cévennes mais, par manque de mise au point et de fiabilité, elle doit abandonner. Au début 1970, un deuxième prototype est réalisé, équipé cette fois-ci d’un Ford 1800 de 240 chevaux. En mars, elle obtient la victoire à Albi tandis qu’en avril, aux essais des 24 Heures du Mans, elle fait sensation mais doit abandonner la course en juin, victime de soucis mécaniques. La déception est grande d’autant que la JS1 avait fini première à Montlhéry en avril et 3ème à Magny-Cours début mai. Chez Ligier, on change de fusil d’épaule et on adopte pour les deux prototypes un moteur Ford V6 2,4 litres mais le succès ne sera pas au rendez-vous.
Ford fait faux bond
Guy Ligier décide de revoir sa copie et met en chantier une nouvelle version dénommée JS2 équipée d’un V6 Cologne de 2,6 litres et 240 chevaux, celui de la Ford Capri RS2600 accouplé à la boîte de vitesses de la Citroën SM. La voiture est allongée pour plus de stabilité et redessinée par Pietro Frua. Le capot est modifié, et le pavillon rehaussé pour une meilleure accessibilité. Avec un moteur fiable et un look plus civilisé, Ligier espère séduire les clients d’une version route permettant de courir dans la catégorie plus accessible des GT. La JS2 est présentée au Salon de Paris 1970 et rencontre de nombreux suffrages. La production est alors envisagée pour 1971 dans les ateliers enfin prêts d’Abrest. Malheureusement, le plan ne se déroulera pas comme prévu. A la fin du salon, Guy Ligier est prévenu par Ford qu’il n’aura pas droit au V6 promis : priorité est donnée à la future GT70 qui doit porter haut les couleurs du géant de Dearborn en compétition.
Adieu Cologne, bonjour Maserati
C’est un coup dur pour la petite équipe mais Ligier n’est pas homme à se laisser abattre. Il prend son bâton de pèlerin et part à la recherche d’un nouveau moteur. Le salut viendra de chez Citroën. Raymond Ravenel, qui a remplacé Pierre Bercot à la tête de la firme aux chevrons, est convaincu par la passion et l’enthousiasme de Guy Ligier et lui promet la fourniture du V6 Maserati de la SM. Le contrat est signé en mai 1971 mais il faut revoir la voiture en conséquence. Cette dernière pèse désormais 865 kg dans sa version civile. Longue de 4,25 mètres, contre 4,05 pour la version à moteur Ford V6, elle vogue désormais dans la catégorie des GT haut de gamme et s’attaque à la Porsche 911 ou la Dino 246. Le V6 est strictement identique à celui de la SM (2 670 cc, 170 chevaux DIN) et lui permet d’atteindre les 240 km/h (contre 220 pour la Citroën). Malheureusement, tout cela a un coût : 74 000 francs, soit presque 20 000 de plus que le tarif envisagé au départ, conséquence des retards, de la sophistication de sa suspension et de la production artisanale de l’engin malgré l’usage de pièces de grande série (on reconnaîtra les feux arrière de Peugeot 504 cabriolet, remplacés par la suite par des feux de 304). La voiture est présentée au Salon de Paris en octobre et la commercialisation lancée dans la foulée. Le projet séduit journalistes comme grand public mais reste inaccessible pour la majorité.
A la poursuite de la clientèle
Malgré les retards et un tarif délirant (une SM coûte 51 800 francs), la production commence fin 1971. Quelques clients fortunés n’hésitent pas à franchir la porte d’Abrest pour signer un chèque et repartir avec une GT française performante. Ils sont 48 à avoir sauté le pas à la fin de l’année : c’est encourageant mais loin des ambitions de Ligier, qui espérait produire une voiture par jour en rythme de croisière. Peut-être faut-il envisager un peu plus de puissance pour séduire plus largement une clientèle exigeante ? Ligier va alors négocier avec Maserati la fourniture d’une nouvelle mouture du V6 qui équipe la récente Merak. Ce dernier est porté à 2 965 cc et développe 195 chevaux grâce à trois carburateurs double corps. Il équipe les JS2 à partir de février 1973 pour un prix inchangé. Malheureusement, ce type de moteur gourmand en carburant est pénalisé par la crise pétrolière qui survient à la fin de l’année. La JS2 a déjà du mal à trouver des clients et la situation économique n’arrange rien. Les problèmes s’annoncent encore pires en 1974. Alors que la voiture est produite au compte-goutte, la situation se dégrade chez Citroën. Michelin veut se débarrasser de sa coûteuse filiale et trouve un accord à l’été avec Peugeot. Paradoxalement, cet événement va donner un peu d’air frais à Ligier.
Des SM en production, une JS2 à l’arrêt
En effet, les équipes de Peugeot arrivent rapidement à la conclusion d’un arrêt de la SM, qui se vend mal, et au transfert des activités industrielles de Javel à Aulnay-sous-Bois. Pour assurer la production des dernières SM commandées, Peugeot va faire appel à Ligier. 21 SM seront fabriquées à Abrest fin 1974, et 114 en 1975. Du côté de la JS2, l’affaire prend une tournure définitive elle aussi. Malgré la présentation en mars 1975 d’une phase 2 dotée de phares escamotables, il faut se rendre à l’évidence : le marché ne répond plus. Seules une trentaine de versions “3 litres” ont été produites en 1973 et 1974, et la nouvelle venue ne trouve que 7 acheteurs. La situation n’est plus viable d’autant que Maserati est transférée au GEPI puis à Alejandro de Tomaso. Si la fourniture de moteurs aurait pu continuer (la Merak restera en production jusqu’en 1983), la situation devient plus difficile et la seule solution viable reste d’arrêter la JS2 en juin 1975. Environ 86 exemplaires auront été produits depuis 1972, chiffre le plus probable mais qui varie selon les sources (certains parlent de 110 exemplaires).
Formule 1 et voiturettes
Ligier, qui a prouvé sa capacité à produire des voitures (JS2, SM) a un plan B. Renault lui propose de s’associer au projet 121, une Renault 14 coupé au profil de break de chasse dessinée par Robert Broyer. La production en petite série doit ainsi être réalisée à Abrest et assurer l’activité de l’usine. Malheureusement, ce projet tombe à l’eau en 1976. Renault n’abandonne pas pour autant Ligier et lui propose la sous-traitance des cabines de ses tracteurs. Dans le même temps, Guy Ligier se lance dans une nouvelle aventure passionnante, la Formule 1, avec l’appui de la SEITA. Il ne reviendra à la production automobile qu’en 1980, sur une idée de son fils : la voiture sans permis, dite voiturette. Mais ça, c’est une autre histoire. La JS2 quitte la scène au moment où Renault dote son Alpine A310 du V6 PRV : la succession est assurée mais il faudra attendre 1987 et le lancement effectif de la MVS Venturi pour voir la France proposer deux GT différentes.
Photos : Ligier, Car Brochures Addict, DR
2 commentaires
Hum… non! Raymond Ravenel (PDG des automobiles Citroën) n’a pas succédé à Pierre Bercot (PDG du groupe Citroën) mais à Claude Alain Sarre.
Pierre Bercot qui démissionne à la même période est remplacé par François Rollier un cousin de François Michelin.
Non à nouveau, ce n’est pas Peugeot qui a arrêté l’assemblage de la Sm à Javel pour la transférer chez Ligier mais Citroën lui même à partir d’une décision prise à l’été 1973 suite à la restructuration déclenchée par la rupture des accords Citroën-Fiat.
Merci pour ces précisions !
Paul