En 1958, la marque Alpine est encore toute récente et ne propose qu’un modèle, l’A106, dérivée de la Renault 4CV et fabriquée chez Chappe et Gessalin. Malgré un succès d’estime, elle fait encore partie de ces nombreux artisans tentant leur chance sur des bases de grande série. Avec l’A108, la marque, qui s’installe enfin à Dieppe, entre dans une nouvelle dimension et marque les esprits. Pourtant, elle est à l’image de l’entreprise à cette heure : un peu brouillonne. A tel point qu’il est difficile de parler d’un seul modèle mais de plusieurs, dans la continuité de l’A106 pour les uns et dans la rupture pour les autres.
Production (1958-1965) : environ 2 660 ex
Lieux : Brie-Comte-Robert (77, coach, 2+2, 300 ex) et Dieppe (coupé, berlinette et cabriolet, 1 200 ex environ), Valladolid (Espagne, FASA, 1963-1966, 338 ex), São Bernardo do campo (Brésil, Willys Overland, 1962-1966, 822 ex)
De la 4CV à la Dauphine
Depuis 1955, Alpine propose aux amateurs de sport un petit coach appelé A106, basé sur le châssis et la mécanique de la Renault 4CV et produit à Saint Maur puis, à partir de 1957, à Brie-Comte-Robert chez Chappe et Gessalin. En 1957, prenant des distances avec ses sous-traitants qui rechignent à modifier l’A106, Jean Rédélé crée la société RDL pour produire à Dieppe le cabriolet, signé Michelotti et qui inaugure le châssis poutre qui deviendra la marque de fabrique d’Alpine (il prend d’une certaine manière la place de la Brissonneau et Lotz Louis Rosier). En 1958 enfin, la petite marque qui monte présente l’A108. Il ne s’agit pas encore de celle que nous connaissons le mieux, mais tout simplement des A106 coach ou cabriolet, équipés d’un nouveau moteur : celui de la Renault Dauphine, décliné en trois versions. L’A108 de base (coach ou cabriolet) est mue par un 845 cc de 31 chevaux toujours placé en porte à faux arrière, pour une vitesse de pointe de 130 km/h. L’A108 Spéciale récupère, elle, la version Gordini poussée à 37 chevaux (135 km/h). Enfin, coiffant la gamme, l’A108-904 s’offre une version travaillée par Marc Mignotet. Avec 50 chevaux, le bond de puissance est conséquent, et la vitesse de 153 km/h atteinte.
L’A108 vers l’indépendance
En 1959, Jean Rédélé prend de plus en plus son indépendance vis-à-vis de Chappe et Gessalin et de l’A106. Il lance en effet un nouveau modèle dénommé A108 Coupé qui n’est qu’un cabriolet doté d’un hard top fixe. Cependant, grâce au châssis du cabriolet plus évolué, et aux mécaniques Dauphine, ce dernier devient la version phare d’Alpine, laissant le coach A106 devenir une entrée de gamme bien moins désirable, et vouée à disparaître du catalogue. La vraie révolution vient en 1960 avec la présentation de la Berlinette Tour de France, un coach dérivé du cabriolet A108 dont la proue comme la poupe prennent de nouveaux atours. L’arrière s’affaisse et l’avant se profile, avec des phares carénés du plus bel effet. Son pare-brise s’incline encore un peu plus, et sa hauteur diminue, formant une voiture ramassée et dynamique qui inspirera les lignes des Alpine jusqu’à la sortie de l’A310 en 1971. Rapidement, le coupé Sport et le cabriolet reçoivent un avant identique tandis que l’A106 s’efface. Chappe et Gessalin héritent d’un nouveau modèle à produire : le Coupé 2+2 dont la ligne est moins convaincante sans offrir une habitabilité fantastique non plus.
Un style Tour de France pour toute la gamme
Pour 1961, les mécaniques (désormais toutes signées Gordini) des A108 évoluent un peu. L’entrée de gamme propose le 845 cc de 40 chevaux (SAE). Vient ensuite la version 904 cc de 50 chevaux SAE puis enfin une version toujours plus puissante, le 998 cc de 70 chevaux SAE. Chaque modèle (Coupé Sport, Cabriolet, Coupé 2+2 ou Berlinette) peut disposer de l’un de ces trois moteurs, pour des tarifs allant de 13 900 francs jusqu’à 20 100 francs pour une Berlinette 998. C’est ainsi qu’Alpine prend réellement son envol : les années 50 avaient été très artisanales, avec une diffusion très confidentielle. En ce début des années 60, l’entreprise se structure, la gamme devient plus claire et la production augmente sensiblement d’autant que la Berlinette démontre ses capacités sportives de premier plan. Jean Rédélé ne va pourtant pas s’arrêter là. Avec le lancement de la Renault 8 et de son moteur à 5 paliers, il lance en 1962 l’A110, une véritable bombe qui vient prendre le haut de la gamme Alpine. Dès lors, l’A108 va perdre de sa superbe.
L’A110 vient prendre le haut de gamme
Elle n’est alors plus disponible qu’en Coupé Sport, Cabriolet et Berlinette. La 2+2 cède en effet la place à une A110 GT4 plus logeable (et toujours produite par Chappe et Gessalin). Elle perd aussi ses moteurs de pointe, ne gardant que le 845 cc en deux versions (40 ou 50 chevaux SAE) tandis que l’A110 récupère le 956 cc à 5 paliers (51 ou 55 chevaux). Cela ne veut pas dire pour autant que l’A108 n’a plus d’avenir. Au contraire, elle entame une carrière internationale notamment au Brésil avec Willys-Overland à partir de 1962 (voir encadré) mais aussi en Espagne chez FASA à partir de 1963 (voir encadré). Cependant, il faut bien l’avouer : elle perd de son intérêt par rapport à l’A110 plus sportive, plus moderne, et peut-être surtout plus radicale. La production baisse ainsi sensiblement en 1963 et 1964, devenant de plus en plus marginale.
Willys Interlagos
À la fin de l’année 1961, Alpine participe au Salon de l’Automobile de Sao Paulo et présente son A108 aux yeux brésiliens ébahis. Il n’y a pas que le public qui est séduit, mais aussi le premier constructeur automobile local, Willys-Overland qui désire depuis quelques mois offrir une petite sportive à la clientèle locale dont le pouvoir d’achat augmente mais qui ne peut s’offrir d’importations tant les droits de douane font monter les prix. Le constructeur brésilien a déjà entamé des démarches auprès d’autres constructeurs européens mais l’Alpine séduit la direction par sa réputation, ses qualités dynamiques mais aussi par sa proximité avec la Dauphine que le constructeur produit déjà sous licence Renault. Enfin, sa carrosserie en polyester est facile à fabriquer sans investissements lourds. La production des Willys Interlagos (petit nom des A108 au Brésil) commence courant 1962 et le facétieux Jean Rédélé en exposera deux “faux exemplaires” au salon de Paris en fin d’année, pour montrer l’internationalisation de l’entreprise. En réalité, il s’agit d’A108 produites à Dieppe et déguisées en Interlagos. Disponible en coupé, cabriolet et Berlinette, l’Interlagos sera produite de 1962 à 1966 à 822 exemplaires.
Des chiffres flous mais convaincants
Au Salon de Paris 1964, l’A108 n’est même plus présente sur le stand d’Alpine. Elle reste pourtant au catalogue dans une unique version Berlinette Tour de France 998 cc de 70 chevaux. Le Coupé Sport a disparu, tandis que le cabriolet est désormais passé sous le chiffre A110 en récupérant le moteur à 5 paliers. Finalement, l’A108 disparaît dans le courant de l’année 1965 en France, même si elle reste produite au Brésil et en Espagne jusqu’en 1966. Au total, environ 1 500 exemplaires ont été fabriqués en France (dont 300 à “phares droits”) mais la précision des chiffres est impossible tant tout se mélange entre A106 et A108, entre Dieppe et Brie-Comte-Robert et suivant les différentes carrosseries. Par rapport aux 251 exemplaires de l’A106 entre 1955 et 1960, la progression est énorme.
FASA-Alpine A108
Après le succès brésilien, Jean Rédélé sent qu’il y a quelque chose à jouer à l’international et prospecte les producteurs affiliés à Renault. FASA, en Espagne, est le premier à répondre favorablement pour proposer la Berlinette et le cabriolet à la bourgeoisie locale. La production de l’A108 commence dès 1963 à Valladolid, aux côtés des Dauphine et Renault 4. Elle sera au catalogue jusqu’en 1966 sans jamais passer à l’A110, jugée trop chère pour la clientèle espagnole. En tout, 338 exemplaires trouveront preneurs, dont 152 cabriolets. Cette deuxième initiative conduira Jean Rédélé à confier à Jean-Pierre Limondin le soin de poursuivre l’aventure au Mexique (Dinalpin) ou en Bulgarie (Bulgaralpine) sur la base d’A110.
Un modèle crucial mais aussi méconnu
C’est tout l’intérêt de l’A108 : elle est, en quelque sorte, l’acte vraiment fondateur d’Alpine. Jean Rédélé s’affirme au sein de sa société, maîtrise enfin la production, s’affranchit de son beau-père Charles Escoiffier, et trace enfin une ligne directrice incarnée par les lignes, qu’il a lui-même signées, de la Berlinette. Avec l’A108, Alpine a passé le cap des débuts difficiles que d’autres n’ont pas su surmonter (DB sur base Panhard, Autobleu et Brissonneau & Lotz sur base Renault, ou bien Dagonet sur base Citroën 2CV). La firme de Dieppe aborde les années 60 comme une vraie marque de sport et non plus comme un artisan, fut-il de génie. Tout cela, on le doit à l’instinct commercial de Jean Rédélé et à l’A108, capable de s’adapter aux goûts, aux marchés, à la demande pour accoucher d’une A110 enfin aboutie et qui deviendra légendaire.
Photos : Alpine, Renault, Willys-Overland, DR
Un commentaire
Super article bien documenté comme à l’habitude, signé Arsène Lupin 🙂
Pour être précis, et d’après les dires de Jean Gessalin, ce dernier avait dessiné le coach avant de partir au service militaire et ce sont les frères Chappe, ses oncles qui ont vendu le dessin à Charles Escoffier contre la volonté de Jean Rédélé qui faisait réaliser ses berlinettes en alu dessinées par Michelotti sur base 4cv chez Allemano.
Je me demande si l’homme du couple près de l’A106 n’est pas Jean Rédélé lui-même, haute stature, abondante coiffure ondulée.
Petite inexactitude c’est bien l’A108 qui a inauguré le chassis poutre, le cabriolet A106 était toujours « collé/riveté » sur la plateforme 4cv, Jean-Rédélé ayant ajouté un cadre en H sous les pieds des passagers pour la rigidifier.
Le chassis-poutre avec carrosserie polyester est une invention de Charles Deutsch et René Bonnet pour DB.
La berlinette a été dessinée par Roger Prieur, cousin germain très proche de Jean Rédélé.