Dans la France des années 50, l’offre automobile reste assez réduite, surtout pour ceux dont la bourse n’est pas extensible. Afin d’améliorer les performances des véhicules accessibles mais faiblement motorisés (Renault 4CV, Citroën 2CV, Panhard Dyna X), de nombreuses officines proposent leurs services. Parmi celles-ci, quelques spécialistes accèdent au rang de sorcier : Gordini, Ferry mais aussi Autobleu dont les tubulures procurent à la 4CV le surcroît de puissance qui lui manquait cruellement. Si Gordini et Ferry restèrent cantonnés dans leur rôle de préparateurs, Autobleu eut rapidement des ambitions de constructeur, amenant à la création puis à la commercialisation de leur propre 4CV, dessinée par Ghia.
Production (1953-1956) : 83 exemplaires
Lieux : Clamart (92, Guérin) puis Levallois Perret (92, Chapron)
Les rois de l’accessoire automobile
Mais n’allons pas trop vite. Tout commence au début des années 50. À cette époque, Roger Mestivier est le président de l’AGACI, l’Association Générale des Amicales et Coureurs Indépendants, embryon des associations de pilotes que nous connaissons aujourd’hui. Ancien pilote lui-même, Mestivier est un passionné, tout comme Roger Lepeytre, alors secrétaire général de l’association. Tous deux ont bien conscience que pour révéler une nouvelle génération de pilote, il faut permettre aux voitures accessibles de cet immédiat après-guerre des performances qu’elles n’ont pas, de série. Les deux hommes ont donc une idée simple : créer une entreprise fournissant aux pilotes en herbe de quoi améliorer leurs automobiles. Mestivier et Lepeytre vont alors s’associer, recruter un mécano de génie, Roger Normier, et proposer sous la marque Autobleu des tubulures pour moteurs de 4CV, mais aussi diverses améliorations (carburateurs Carter ou Solex, notamment).
Des envies d’automobiles
Rapidement, la petite firme du 17ème arrondissement se fait un nom auprès des amateurs, mais aussi des industriels, et en particulier Renault. Autobleu devient fournisseur pour les kits de transformation de la 4CV 1062 à une plus performante 1063. Le début de la gloire qui se poursuit ensuite par la fourniture de tubulures pour les versions Export de la 4CV, destinées aux États-Unis. Les premiers succès de l’entreprise donnent des idées à ses fondateurs : pourquoi ne pas proposer une voiture basée sur la petite Renault, mais au style plus sexy et aux performances plus sérieuses ? Le hasard va jouer son rôle lorsqu’au salon de Paris 1952, le stand Autobleu se retrouve à côté de celui du carrossier Ghia. L’occasion de créer quelques liens, et de proposer à l’entreprise italienne de travailler sur un châssis 4CV d’occasion envoyé à Turin pour l’occasion.
Ghia au dessin, pour un coupé 4CV
L’idée est assez simple : transformer la petite berline au losange en un joli coupé 2 portes à même de séduire une clientèle plus exigeante, plus sportive, et plus aisée aussi. Le carrossier italien s’exécute et livre son prototype en mai 1953. Ce modèle est élégant, élancé et réussit à faire oublier l’origine de sa donneuse, à tel point que le duo fondateur d’Autobleu présente son œuvre à Renault. La réponse de la Régie est polie mais ferme : elle n’est pas intéressée : la 4CV se vend bien et l’heure n’est pas encore à l’arrivée de modèles de niche dans la gamme Renault qui comprend aussi la 11 CV Frégate et l’utilitaire familiale Colorale, et qui s’en contente pour l’instant. Qu’à cela ne tienne : Autobleu réalisera elle-même sa voiture, d’autant que le constructeur l’assure de son soutien tacite (et l’éventualité d’une mise à disposition de son réseau commercial).
L’enthousiasme du débutant
Un deuxième prototype est rapidement confectionné grâce à des pièces fabriquées en Italie est assemblées chez Figoni mais l’organisation n’est pas optimale pour une production, fut-elle en petite série. Les deux modèles sont cependant exposés au Salon de Paris en octobre 1953 et recueillent les suffrages des amateurs. L’Autobleu 4CV ne pèse que 600 kg, et son petit 747 cc amélioré grâce à un carburateur Solex 22 et une tubulure maison (évidemment) développe 25 chevaux DIN et autorise les 115 km/h sous une ligne des plus charmantes dont les ailes arrière rappellent la Frégate. Pour produire leur nouveau modèle, Mestivier et Lepeytre vont faire appel à un ami carrossier à Clamart, Guérin, qui assure les deux associés de sa capacité à produire l’Autobleu 4CV dont le modèle définitif est présenté en 1954.
Difficile production
La voiture fait son petit effet et trouve rapidement quelques clients prestigieux comme Luis Mariano ou Michèle Morgan, mais il faut bien l’avouer : la fabrication à Clamart laisse à désirer tant en qualité qu’en réactivité. Il semble impossible à Guérin de livrer en temps et en heure et les deux associés décident en 1955 de changer leur fusil d’épaule et de confier leur petit coupé 4CV à un carrossier plus habitué à ce genre de production : Henri Chapron, à Levallois-Perret. Après une vingtaine d’exemplaires péniblement assemblés à Clamart, la production peut enfin prendre un rythme de croisière correct (Chapron proposera même une version cabriolet, restée unique). Cependant, en passant chez Chapron, Autobleu peut aussi s’apercevoir que si sa voiture est trop chère pour la clientèle, elle n’est pas assez chère pour l’entreprise qui perd de l’argent sur chaque voiture produite. En 1956, la décision est prise : se recentrer sur le coeur de métier d’Autobleu, les accessoires, et abandonner la production automobile, laissant le champ libre à la toute jeune marque Alpine et son A106, mais aussi à Brissonneau et Lotz et sa Louis Rosier ou Chapron lui-même avec sa Dauphine Mouette.
Retour à la réalité
Avec seulement 83 exemplaires produits entre 1953 (les premiers prototypes) et fin 1956, l’Autobleu 4CV n’a pu que jouer un rôle mineur sur le marché automobile français et a montré la difficulté à devenir constructeur automobile. Des pionniers de ces années-là, seule Alpine saura faire la différence et survivre à l’industrialisation en très grande série des années 60 grâce à son A108 plus personnelle puis à une A110 rapidement devenue mythique. Malgré une tentative de coupé Frégate en collaboration avec Boano et Abarth, Autobleu cessera ses rêves de grandeur pour revenir à une réalité plus pragmatique : la vente d’accessoires automobiles.
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