Avec la Rodéo 4 et la Rodéo 6, Raoul Teilhol et Renault avaient tenté de répondre à l’offensive Méhari. Dix ans plus tard, l’offre a vieilli et se vend toujours moins que la Citroën. Il devient impératif de penser à un nouveau modèle, stylistiquement plus réussi et à l’allure plus moderne. D’autant que le contrat qui lie les Ateliers de Construction du Livradois (ACL), devenus Teilhol tout simplement en 1978, à Renault n’est pas si rentable que cela. Pour relancer la machine, la petite firme auvergnate va faire du neuf avec du vieux et proposer en 1981 une Rodéo 5 bien plus sexy, destinée à s’imposer sur ce petit marché.
Production (1981-1986) : non communiquée (production totale Rodéo 4, 6 et 5 estimée à 60 000 ex)
Lieu : Courpière (63)
Renouveler la Rodéo
Depuis 1970, Raoul Teilhol produit des concurrents de la Citroën Méhari appelés Rodéo 4 et 6. Sur ce petit marché des véhicules de plein air à destination d’une double clientèle, professionnelle d’un côté, récréative de l’autre, la Citroën domine de la tête et des épaules, ne laissant que quelques miettes aux Rodéo pourtant badgées du losange et distribuées dans le réseau Renault. La production auvergnate n’est pas moins bonne que celle des chevrons, mais elle doit composer avec un physique plus ingrat et un total abandon des concessionnaires qui ne font rien pour pousser le produit. Teilhol va donc s’attaquer au problème en modernisant la ligne dans un esprit plus contemporain.
Une base de Renault 4
La technique reste peu ou proue inchangée : il s’agit d’un châssis de Renault 4, renforcé par des tubes en acier sur lequel est greffé une mécanique bien connue, un 4 cylindres Cléon-Fonte de 1 108 cc et 34 chevaux à carburateur simple corps issu de la R4 GTL. Les freins sont à tambour à l’avant comme à l’arrière et la voiture peut atteindre les 110 km/h grâce à un poids contenu à 720 kg. Rien de très nouveau sous le soleil du Puy de Dôme, mais la mécanique est éprouvée et amortie, permettant d’obtenir un coût relativement bas pour coller au tarif de sa principale concurrente, la Méhari. Elle conserve en outre la fiabilité et la rusticité indispensables à ce genre de modèle.
Un joli dessin signé Broyer
La vraie différence doit se jouer sur le design. Raoul Teilhol fait appel au designer indépendant Robert Broyer, qui a longtemps travaillé chez Renault et à qui l’on doit le dessin de la R12 ou de la R14. L’homme n’est pas rancunier : il avait dessiné en 1969 ce qui aurait dû devenir la Rodéo, mais Renault avait privilégié la petite firme ACL, sous l’amicale pression du ministre des Finances de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, soucieux de pousser les entreprises de son fief électoral. Broyer a l’habitude de travailler avec des petites structures comme Teilhol (il vient de dessiner les premières voiturettes de Ligier) et il a quelques idées pour moderniser la Rodéo. Pour rendre le modèle sexy, il va s’inspirer à la fois du Talbot Rancho et d’un projet resté dans l’ombre, le Véhicule Vert Alpine
Véhicule Vert Alpine
Le Véhicule Vert Alpine (VVA) est une étude conjointe du Bérex à Dieppe et du Centre de Style Renault de Rueil-Malmaison. Jean-François Venet, Michel Jardin et Piero Stroppa signent un extérieur s’inspirant du Rancho, mais aux lignes plus modernes. En novembre 1979, une maquette à l’échelle 1 est présentée, mêlant un profil 5 portes d’un côté, 3 portes de l’autre. Malgré l’intérêt du projet, Renault le juge trop coûteux pour un marché incertain et préfère s’orienter vers un nouveau concept, le Véhicule de Grande Randonnée (VGR) s’inspirant, lui, du Range Rover et qui finira, lui aussi, aux oubliettes.
Une ligne moderne plutôt séduisante
Robert Broyer a-t-il participé à ce projet (indépendant depuis 1973, il continue pourtant de travailler occasionnellement pour Renault) ? A-t-il simplement été consulté pour le concept VVA ? Toujours est-il que le dessin qu’il propose à Teilhol a quelques similitudes avec celui du Bérex, notamment ce pilier B teinté si caractéristique. Les panneaux de carrosserie en polyester et polyuréthane injectés sont intégrés à une structure tubulaire (tout comme le pare-brise) qui assure une bonne rigidité à l’ensemble. Le style est en tout cas beaucoup plus moderne et séduisant que celles des Rodéo 4 et 6. Sous certains angles, il préfigure l’utilitaire Express qui n’apparaîtra qu’en 1985 sur une base Supercinq.
Une couleur par millésime
La voiture est présentée en juin 1981 sous le nom de Renault Rodéo 5. Le chiffre fait habilement référence à la R5 alors que le véhicule dérive de la R4, lui donnant un côté plus moderne encore. Elle se présente en deux versions : Plein Air (un nom qui rappelle l’échec de la R4 Plein Air réalisée par Sinpar pour Renault en 1968) qui se dispense de portes et de vitres, et Quatre Saisons, un modèle plus civilisé. Pour abaisser les coûts, Raoul Teilhol décide de ne proposer qu’une seule teinte par millésime : Orange pour l’année modèle 82, Vert Tilleul pour 83, Ocre Jaune pour 84 et Ivoire pour 85 et 86. Les pare-chocs et le pilier central sont eux teintés en Brun. A son lancement, le tarif est de 34 500 francs, soit 4 000 francs de plus que la vénérable Méhari.
Un marché inexistant ?
Malgré l’intérêt de la Rodéo 5, la voiture subit les mêmes problèmes que les 4 et 6 précédentes : le réseau ne sait pas comment vendre le modèle. Les particuliers s’orientent vers le Rancho, plus cher mais plus valorisant, tandis que les professionnels privilégient encore la Méhari, ou de vrais utilitaires. Même la concurrente Citroën a du mal sur ce marché : en 1981 elle ne se vend plus qu’à 4 833 exemplaires. La Rodéo 5 est un beau produit, mais la niche espérée n’existe quasiment plus. Pour essayer de dynamiser la gamme, Teilhol propose à partir de l’été 1983 une option 4×4 développée par Sinpar (qui restera confidentielle, une centaine d’exemplaires) et déclinée en 1984 en une série spéciale appelée Hoggar (de couleur ivoire). En 1984 toujours, elle cible les chasseurs avec une nouvelle série spéciale appelée Sologne (teinte Vert Sologne différente du Vert Tilleul de 1983) mais rien n’y fait : les ventes ne décollent pas.
Renault lâche Teilhol
Un malheur n’arrivant jamais seul, le partenariat avec Renault commence à battre de l’aile. La situation financière de la Régie se dégrade sans cesse, et l’entreprise se retrouve dans une situation délicate. En cette année 1986, elle revoit un à un tous ses contrats et n’estime pas nécessaire de conserver cette gamme outdoor réalisée par un prestataire extérieur. Elle rompt donc le contrat qui la lie à Teilhol qui doit stopper la production de la Rodéo 5 en octobre 1986. La situation de la petite entreprise, déjà pas très brillante (et plombée par des diversifications dans la voiturette électrique), devient intenable et elle doit déposer le bilan. Raoul Teilhol tentera de relancer l’aventure avec l’appui de Citroën pour lancer la Tangara, sans beaucoup plus de succès.
Le fantasme de la voiture de plage
Ce que nous apprend l’histoire de la Rodéo 5, c’est que la Méhari aura créé de toute pièce un marché éphémère, vulgairement appelé « voiture de plage », sur lequel de nombreuses entreprises se casseront les dents. L’âge d’or des années 70 passé, il faut se rendre à l’évidence : il n’y a plus de clientèle désireuse d’investir dans ces voitures rustiques et peu confortables. Les chiffres de la Méhari le prouvent : 3 349 exemplaires vendus en 1983, 2 654 en 1984, 1 882 en 1985 et 669 en 1986. On ne dispose pas de chiffres pour la Rodéo 5, tout juste une estimation totale depuis 1970 (comprenant donc les Rodéo 4 et 6) de 60 000 véhicules. Dans les années 90, la jeune marque Méga tentera sa chance sur le même concept avec la Club et la Ranch, sans plus de succès.
Photos : Renault, Car Brochure Addict, DR
2 commentaires
Pour succéder à la Rodéo 5, Teilhol avait imaginé une Rodéo 9, sorte de mix de R11 et de Rancho. L’idée ne dépassa pas le stade de la maquette.
La Rodéo 9 était insipide d’aspect. On se demande toujours pourquoi ces véhicules venus de nulle part, sans destination d’usage précis peuvent être aussi disgracieux, si ce n’est ce Rodéo 5 très Lego, quand seules les Mini Moke et surtout les Méhari de Roland de la Poype furent réussies d’emblée. De même, le design des véhicules militaires ne laisse pas de surprendre par sa justesse, réalisant la synthèse de la forme et de l’usage (Panhard VBL par exemple). Tout au plus la R4 Sinpar d’Ernest Laverdure dans Les Chevaliers du Ciel (1967) avait-elle sa cohérence. Il me semble bien que Paul Sernine a du en parler ici, dans sa station de métro (pas l’Austin), les Mega-Aixam Club ou les Jeep Dallas de l’ex yéyé Grandin/Frank Alamo eurent un succès d’estime, un millier d’exemplaires semble-t-il pour la première, 5 000 exemplaires pour la seconde, mais durant les décennies 80-90. Les petits tout-terrain japonais, genre Jimny, ont pu avoir raison de ces solutions artisanales sans véritable avenir. Il faut bien qu’un outil de déplacement trouve son usage en regard de son coût. Les Fiat Panda 4×4, celles des origines furent reconnues valeureuses et efficaces. On a beau porter le nom du tilleul (Teilhol), la paix et la prospérité ne durent pas être au rendez-vous de ce constructeur courageux.