Malgré un style séduisant et d’évidentes qualités, la Panhard 24 sera la dernière voiture produite par la marque doyenne avant de disparaître définitivement. Contrainte par Citroën, devenu petit à petit l’actionnaire principal, de rester sur un créneau étroit et privée des développements qui auraient pu être salutaires (berline, break, cabriolet), la 24 devra se contenter de faire de la figuration sur un marché en pleine évolution. Voulu comme un modèle de rupture, à même de conquérir une nouvelle clientèle malgré une offre réduite, la 24 se réduira, finalement, à un modèle de niche.
Production : 28 651 exemplaires
Dont : 1 623 C, 14 181 CT, 2037 B, 161 BA et 10 649 BT
Lieux : Paris (75, assemblage), Gennevilliers (92, Chausson, carrosseries)
Trouver un nouveau souffle
Au début des années 60, la situation de Panhard n’est pas vraiment brillante. Le manque de moyens financiers l’ont obligé, jusqu’alors, à se contenter d’un seul modèle de grande diffusion. Après la Dyna X de l’immédiat après-guerre, la marque avait cru trouver son salut en investissant de façon ambitieuse sur la Dyna Z. Malheureusement, cette dernière s’avérait bien peu rentable, obligeant à faire rentrer Citroën au capital comme le loup dans la bergerie. Au fur et à mesure des difficultés, la marque aux chevrons montait au capital, faisant de Panhard son obligé jusqu’à en devenir la filiale. Dans ce contexte, les ingénieurs et designers de l’avenue d’Ivry avaient dû se contenter d’une opération de chirurgie esthétique pour donner naissance à la PL17. Pour survivre, Panhard devait donc impérativement renouveler son offre avec un modèle original.
Le carcan Citroën
Or, si le rapprochement avec Citroën semblait plein de promesses, il devint rapidement un carcan : en aucun cas Panhard ne devait concurrencer la gamme de Javel. Pire, la production d’une berline était désormais formellement interdite par un Pierre Bercot bien décidé à museler la doyenne. Le Bureau d’étude se vit donc contraint de plancher sur un modèle de niche avec une certaine naïveté cependant : avec l’augmentation du niveau de vie des 30 glorieuses, on imaginait l’explosion de la demande pour des véhicules plaisirs, moins pratiques et plus chers. C’est en 1959 qu’est donné par Jean Panhard le coup d’envoi du projet V527 : un coupé ambitieux et sportif capable d’atteindre les 150 km/h en utilisant (pour l’instant croit-on) les mécaniques existantes. Bien que limitée par Citroën, Panhard ne désespère pas d’obtenir le feu vert pour élargir la gamme à une berline, voire même un break : n’existe-t-il pas, alors, un trou béant entre la 2CV et le couple ID et DS que la future Ami 6 ne comblerait pas totalement ? Certes, mais Citroën planche de son côté sur le projet F et n’imagine pas qu’il lui faudra plus de dix ans pour aboutir, après de nombreux rebondissements, à la GS en 1970.
La gamme qui n’exista jamais :
Au début du projet V527, l’équipe Panhard pense encore pouvoir convaincre le patron de Citroën, Pierre Bercot, de développer une gamme complète : le coupé donc, mais aussi une berline, un break et un cabriolet. Le Bureau d’étude planche donc sur ces projets annexes dans le plus grand secret, espérant un revirement qui ne vint jamais. Les projets Citroën sont prioritaires, et ceux de Panhard pourrait les perturber : la 24 restera un coupé, châssis court ou long, et pas plus.
Un coupé pour commencer ?
Citroën accepte le projet V527 sans pour autant aider à son financement et l’équipe de Louis Bionier se met au travail, aidé par ailleurs d’un consultant extérieur, René Ducassou-Péhau qui avait déjà travaillé sur la PL17 (Il fera partie par la suite de l’équipe chargée de créer la Dyane). Elle planche en priorité sur un coupé décliné en deux versions, l’une plus courte orientée vers le sport, l’autre plus longue offrant plus d’habitabilité. L’essentiel du travail est achevé en 1961 tandis qu’en secret, on continue de rêver à la berline, au break et même au cabriolet qui pourrait en découler. C’est à ce moment-là que le tout puissant patron de Citroën vient mettre son grain de sel dans le projet en demandant à Flaminio Bertoni, le designer maison, de présenter sa vision du futur coupé Panhard. Si l’interprétation qu’il en fait est assez séduisante, il est désormais trop tard pour changer le dessin réalisé par Bionier et ses acolytes.
Elégance et petits moyens
Techniquement, la future 24 n’est pas issue d’un modèle antérieur et dispose d’un châssis tubulaire rigide original mais perpétuant la tradition de légèreté des Dyna Z ou PL17. La ligne de la carrosserie est aussi élégante qu’originale. Le 24 juin 1963, la marque réunit la presse et de prestigieux invités pour découvrir la nouvelle 24 (en référence aux 24 heures du Mans qui ont tant fait pour la réputation de Panhard) dans la roseraie de Truffaut, à Versailles. Tous saluent le résultat malgré un budget riquiqui. La Panhard 24 est pour l’instant proposée en deux versions “courtes” : la C, plus bourgeoise dotée du bicylindre M8N de 848 cc développant 42 chevaux DIN, et la CT, voulue plus sportive hérite du Tigre de même cylindrée (d’où le T) de 50 chevaux DIN. Les deux modèles disposent de freins à tambour ETA (Évacuation Thermique Accélée). La production se fait en deux temps : les carrosseries sont produites chez Chausson dans son usine de Gennevilliers (comme la Dyna Z et la PL17 en leur temps) tandis que l’assemblage et la mécanique sont réalisés avenue d’Ivry, dans l’usine historique. La commercialisation débute à la fin de l’année 1963.
Deux longueurs pour la 24
Malgré tout l’intérêt de la 24, les débuts sont difficiles. La voiture ne rencontre pas le succès espéré tandis que la fin de vie de la PL17 approche. Avec 10 091 exemplaires produits en 1964, le compte n’y est pas. Heureusement, les versions B et BT à châssis long (partageant les moteurs avec la C et la CT) viennent renforcer l’offre dès octobre 1964. Bien que pompeusement appelées berlines par Panhard, il s’agit toujours de coachs à deux portes qui n’offrent pas la même praticité. La montée à 76 % du capital par Citroën ruine les espoirs de déclinaisons plus courues, tandis qu’on ne rêve même plus, avenue d’Ivry, à un moteur 4 cylindres. Les bicylindres vont devoir assurer et l’état-major croise les doigts en espérant que la 24 décolle enfin.
Les ventes ne décollent pas
Malgré l’arrivée des B et BT, l’année 1965 n’est pas vraiment plus joyeuse. La PL17 a été définitivement arrêtée, et Citroën a pris en mars le contrôle total de Panhard. Pour relancer les ventes pénalisées par un tarif élevé quelque soit la version, on imagine une BA à l’équipement indigent, espérant séduire plus largement. Rien n’y fait, la BA ne se vend pas (161 exemplaires en tout) tandis que les ventes globales progressent à peine (10 880 exemplaires en 1965). De toute façon, plus personne n’y croit plus chez Panhard et le réseau Citroën n’apporte aucune aide à la diffusion. Les moteurs n’évoluent plus (ils sont de toute façon allés aussi loin qu’il était possible d’aller) et s’avèrent assez pointu à la conduite comme à l’entretien. Plus aucun effort de promotion n’est fait et les ventes s’en ressentent : 5 224 voitures trouvent preneurs en 1966 et Citroën n’entend pas lancer l’étude d’un nouveau modèle. Le bureau d’études se voit confier des projets Citroën, notamment la Dyane. Le 28 août 1967, la décision tant redoutée tombe : Panhard cesse son activité automobile après 2 456 modèles vendus. Désormais, l’usine ne va plus produire que des 2CV Fourgonnettes (jusqu’en 1970). Seule la filiale militaire continuera son activité sous la marque Panhard Défense.
Panhard 24 “Super Panhard”
En 1967, la 24 est en fin de carrière mais n’a pas encore tout à fait dit son dernier mot. Le Bureau d’étude n’hésite pas, en effet, à faire des propositions à Citroën. L’idée est simple : transformer la 24 en un coupé sportif abordable, cumulant le meilleur de Panhard et de Citroën. Un premier prototype est réalisé, équipé du 2,1 litres de la DS21 pour 123 chevaux SAE. Un second va plus loin et reçoit un 2 litres inédit poussé à 143 chevaux SAE et la suspension hydraulique chère à Citroën. Si ces projets sont intéressants, ils ne suffisent pas à séduire Pierre Bercot. La Citroën SM est déjà dans les tuyaux et Panhard condamnée.
Adieu 24
La 24 n’aura donc pas été la planche de salut de la marque. Une fois l’interdiction de développer la gamme entérinée, il devenait évident qu’elle ne pourrait pas, seule, assurer l’avenir d’une marque qui n’a jamais cessé, depuis le début des années 50, de perdre des parts de marché. Pas assez solide financièrement, elle n’aura plus jamais retrouvé le statut de grand constructeur, distancée par Renault, Simca ou Peugeot dès les années 50.
Aller plus loin :
Et si Panhard avait connu un destin plus heureux ? C’est la thèse de cette uchronie à découvrir ici (cliquez sur l’image) :
Photos : Panhard, Citroën, Car Design Archives, André Leroux, DR
Un commentaire
Deux images de l’article m’ont titillé l’esprit. Le cliché de tête, à l’auto rouge du jeune cadre et la même pose, avec la dame en jaune, l’auto aux phares allumés sous un feu tricolore. L’auto est basse, aussi basse qu’une actuelle Alpine A110. En fait, elles s’équivalent. En longueur, 4 260 mm pour l’aïeule contre 4 256 pour la cadette (pas l’Opel). En hauteur, 1 240 mm vs 1 238 mm, toujours selon l’ordre chronologique. Mais, comme les autos d’autrefois, elle est étroite, 1 630 mm vs 1 798 mm, et 2 300 mm (2 550 pour la BT) vs 2 420 mm pour l’empattement. La comparaison s’arrête là. La première pèse deux quintaux de moins que la seconde six fois plus puissante (cv DIN). 60 ans les séparent. C’est tout petit une 24 dans la rue, très fine, le pavillon juste posé sur des jambes fines comme celles des buffets de cuisine en Formica des années 60. Une Panhard en totale contradiction avec les productions de la marque avant-guerre. Ce côté frêle était un gimmick de design du premier tiers des années 60. On se retourne toujours sur une 24, promesse de modernité. Regretter Panhard, à quoi ça sert ? Citroën a éteint Panhard comme Peugeot a éteint Simca et Citroën sans Peugeot serait passée ad patres. Comme Peugeot sans la recapitalisation par l’État française en 2013 et la venue de Dongfeng. C’est la vie des entreprises et de l’industrie, non ? Mais c’était joli une Panhard 24, surtout la BT mieux proportionnée.